Reviews

Je n’ai jamais été particulièrement attirée par le western mais la phrase d’accroche de l’éditeur à propos de la réinterprétation "queer et féministe du genre du western" a su attirer mon attention. Si je trouve souvent que ces termes sont utilisés à tort et à travers pour qualifier de nombreuses œuvres qui n’en ont que le vernis, j’ai pu trouver exactement ce qui m’avait été promis dans ce roman ! En effet, le western est grandement masculin et, bien souvent, les seules femmes qui valent la peine d’être portées au premier plan sont les amoureuses (les officielles, fiancée ou épouse) ou les hors-la-loi. Dans L’Affranchie, Claudia Cravens tourne la caméra sur le côté pour nous montrer ce qui se déroule habituellement à l’arrière plan et nous propose de suivre un autre type de femme : la pute qui, elle, finit généralement morte avant la fin du film. Nous rencontrons alors Bridget, une jeune prostituée recueillie par deux maquerelles qui tiennent une maison de passe. Mais ne vous inquiétez pas trop pour elle car elle ne compte pas laisser les codes du western la sacrifier tragiquement et préfère plutôt prendre en main son destin !

J’ai été conquise par l’histoire de Bridget mais je tiens à noter qu’un lecteur qui s’attend à lire des scènes de chevauchées et de duels intenses risque d’être un peu déçu par ce récit presque contemplatif. Lent sans être long, le roman est particulièrement immersif.

Le style est efficace et ne s’embarrasse pas de longues descriptions, laissant l’imaginaire foisonnant du Far West prendre le relais pour créer les images pour nous. Ainsi, on retrouve assez peu de détails concernant les grandes plaines, la décoration du salon ou l’apparence des personnages, ce qui permet de plutôt privilégier la description des ressentis et sensations comme l’odeur de la sueur sur la peau, le sol qui colle à cause de l’alcool renversé, la musique du salon qu’on entend depuis les chambres à l’étage… Il y a quelque chose de très cinématographique dans la plume, permettant d’imaginer toutes les scènes avec facilité.

Le langage y est plutôt cru, assez familier, mais ce n’est jamais gratuit puisqu’il retranscrit le parler de personnes de cette classe sociale à cette époque. De plus, malgré la profession du personnage principal, le roman ne tombe jamais dans une forme de voyeurisme. Il serait très facile de faire basculer le texte dans la violence (ou l’hypersexualité) mais, bien qu’elle n’est ni ignorée ni niée, elle ne devient jamais centrale dans le récit. C’est d’ailleurs ici que je retrouve la proposition queer et féministe de l’autrice. Au delà d’aborder des thématiques d’émancipation féminine et de découverte du lesbianisme, c’est un regard particulier qu’elle porte sur les manières de les traiter ainsi que dans la façon d’écrire ses personnages et sa narration.