A review by lessidisa
Le grand hiver: roman by Ismail Kadare

slow-paced

5.0

Approchez-vous tous pour écouter ce qui est arrivé à l'Albanie

Comment se fait-il que l'Albanie ait acheté du blé en France, alors qu'un contrat d'approvisionnement la lie à l'Union soviétique ?
Question de climat

L'interprète sait-il bien le russe ?


La version originelle de ce livre s'appelle "L'hiver de la grande solitude" mais à l'époque elle ne passait pas la censure alors l'auteur a rajouté des passages pour montrer l'unité du peuple albanais, et cette version-ci a été publiée.

C'est le livre le plus intéressant que j'ai lu de l'année, mais en même temps il est trompeur. Nous y reviendrons. Je n'avais jamais entendu parlé de l'Albanie donc c'est une entrée en matière, et le meilleur passage je trouve est celui des retranscriptions des négociations diplomatiques entre le premier secrétaire du parti communiste albanais Enver Hoxha et Khrouchtchev, et leurs acolytes. Je ne m'étais jamais intéressée à cette discipline et je vois donc qu'ils essaient de suivre des règles de bonne conduite, de parler calmement et avec respect, et de trouver des terrains d'entente. Il s'agit dans le livre des retranscriptions de ce qu'ils se sont dit et non de dialogues imaginés. 

Les premières 150 pages du livres sont assez comiques avec la question récurrente du blé français qui tombe comme un cheveu sur la soupe à tous bout de champs. Puis la révélation vient. On suit une poignée de personnages qui se connaissent de près ou de loin. J'ai trouvé dans ce livre mon bon vieux Hô Chi Minh vietnamien, quelle surprise !

L’auteur a donc vécu la rupture entre l'Albanie et le bloc de l'Est en direct ; c’est épatant. C'est extrêmement laborieux et long à lire mais aussi très satisfaisant. Dommage qu'il n'y ait pas de suite. Il y a un deuxième volet qui parle d'une autre année : Le concert. Maintenant le livre est trompeur car quand je suis allée en parler à mon père il m'a dit que quand il était enfant il y avait deux pays fermés sur Terre : la Corée du Nord et l'Albanie. Donc quand je lis sur internet que l'Albanie était une dictature avec pour dictateur Enver Hoxha c'est très choquant car je ne m'en suis pas rendue compte à la lecture. Je l'ai au contraire trouvé très bien cet homme.


« Comme a dit Marx, l'unité est provisoire, les querelles sont éternelles. »


« La scission, ce n'est pas moi qui vous l'ai apportée, je l'ai trouvé parmi vous*, songea Besnik.

*Évocation de la phrase célèbre du héro national Skanderbeg : La liberté, ce n'est pas moi qui vous l'ai apportée, je l'ai trouvée parmi vous. » 

Pour en apprendre plus sur le héro national Skanderberg on peut lire du même auteur Les Tambours de la pluie


« Je t'ai assez supportée.
- Comme tu voudras, Frédéric, ta jalousie me fera mourir avant l'heure. »

« Votre crime commun, songea-t-il. Les années passeraient, eux blanchiraient toujours plus et leurs propos, avec le temps, deviendraient plus pondérés, plus solennels, avec des résonances toujours plus éternelles, philosophiques, presque bibliques ; toujours plus souvent, ils paraîtraient à des présidiums, à des commémorations, dans des films d'actualité, sur le petit écran, dans des mémoires, des préfaces, derrière des bouquets offerts par des petits "pionniers", ils seraient entourés de tendresse, d'admiration, pour leurs têtes chenues, leur sagesse, leur culture, leur dignité, leurs sentiments humanitaires, leur grandeur d’âme ; pour leurs mains affaiblies transparentes, presque hiératiques, qui n'avaient jamais tué une mouche, qu'ils avaient levées en haut, à gauche, à droite, condamnant l'injustice, l'oppression de la classe ouvrière, la violence, la cruauté, et qui maintenant tremblotaient en saisissant les fleurs ; Et pourtant tout ce rituel, cette mise en scène ne pourraient jamais effacer la flétrissure qu'ils s'étaient eux-même infligée en affamant en plein XXe siècle un petit peuple.  »