A review by riduidel
Parade Nuptiale by Donal Kingsbury

5.0

Mon avis


Parade nuptiale est un roman étrange, issu d’une ligne de Hard-science qu’on peut sans problème faire remonter à [book:Dune], tant par l’hostilité du milieu que par la forme du récit, et d’autres postures d’écriture.
Cependant, il serait réellement réducteur de le positionner comme une simple copie du roman de [author:Herbert], car Parade nuptiale est un récit beaucoup plus riche, plus fort, et plus difficile d’accès que [book:Dune]. Ce récit se situe sur une planète autre que la Terre, où des humains luttent pour survivre dans un monde à l’hostilité avérée. En effet, loin de monstres géants, la biosphère de cette planète est naturellement toxique pour l’être humain, et les aliments dits profanes, c’est-à-dire ceux issus de cette biosphère, sont potentiellement mortels, à la manière du plomb, pour les humains. Il existe bien sûr quelques aliments dits sacrés, pour lesquels le lecteur devine qu’ils ont été importés avec ces humains, comme le blé ou les patates. Partant de cette hypothèse très simple, Kingsburry se place d’entrée de jeu dans ce qu’on pourait appeler un régime stable, c’est-à-dire longtemps après la colonisation. Et son postulat d’environnement toxique a des répercussions incroyables sur la culture et la société de cette planète, retombée dans ce que je considère comme une espèce de moyenâge, où existerait pourtant la génétique moderne.
Parmi les conséquences les plus évidentes, on peut citer le cannibalisme culturel. C’est-à-dire que les plus faibles sont éliminées en cas de famine, pour nourir de leurs protéines les plus forts, et ainsi participer à l’amélioration de la race, concept clé de cette planète. De la même manière, les anciens qui meurent de vieillesse, les difformes et les bébés non désirés sont tous mangés, et on conserve les parties de leur corps non dévorées lors du buffet funéraire dans de délicieuses conserves. Tout cela n’est qu’un des milliers d’aspects où l’environnement a eu son impact sur la culture et la civilisation de ce monde. Tout cela n’est qu’un environnement dont j’ai essayé de donner un aperçu des pratiques les plus marquantes. Et dans cet environnement, ce roman nous raconte l’ascencion d’une famille (un mariage polygame visant la complétude à sept) qui va essayer de prendre le pouvoir, de manière "civilisée", c’est-à-dire sans verser le sang et en respectant les coutumes politiques. Et toute cette lutte politique présente, pour le joueur de nomic que je suis, certains aspects très intéressants comme une réflexion approfondie sur le pouvoir, son exercice et sa fonction sociale. Ainsi, la mise en oeuvre d’un électorat sur la base du clientélisme, qu’on considère usuellement comme une mauvaise forme de gouvernement, est ici utilisé d’une manière extrêmement intéressante, qui en sublime les potentialités politiques. En fait, il est difficile de bien parler d’une oeuvre aussi radicalement différente. Car la différence, ici, n’est pas seulement dans les vêtements ou les pratiques religieuses de gens, elle est dans le coeur de leur culture, qui se base entièrement sur la cannibalisme. Et ce cannibalisme, à son tour, ne peut pas être vu comme un acte dégradant. Ou du moins, il n’est vu comme tel que par une gentille hérétique, qui souhaite y mettre fin, et dont le rôle dans le bouquin est assez important. Au final, c’est effectivement une lecture très étrange, mais assez fascinante. Je ne saurais trop conseiller aux fans de fictions éllaborées de se précipiter sur cet ouvrage où l’action laisse bien volontiers la place à de puissantes réflexions sur la société, la politique, le pouvoir, ce genre de choses.

Une discussion sur ce roman


Peu de temps après, j’ai eu l’occasion de discuter de ce roman avec un interlocuteur d’Usenet, qu’on appelera ici XH.
ND

Parce que des cannibales qui se lancent dans une guerre tribale pour étendre leur empire, ça fait sf, comme thème ?

XH

Non ; mais la question de savoir si une société fonctionnelle issue d’un peuplement originellement humain mais qui a dérivé à tel point que tout les critères sociaux habituellement admis ont volé en éclat est encore composée d’humains, n’est-ce pas SF, comme thème ?

ND

Si, complètement. il n’en reste pas moins que, dans ce roman, certains éléments (les combats tribaux, l’espèce de médiévalisme que j’ai pu y ressentir) me font penser que le classement en SF est quelque part un peu artificiel. Pour ma part, si j’avais dû placer ce roman quelque part, je l’aurais mis dans une nouvelle catégorie : la hard-”sciences humaines”. Car si, dans les bouquins d’[author:Egan], par exemple, les éléments qui sont très largement extrapolés sont des éléments de sciences dures, [author:Kingsburry], lui, choisit d’extrapoler de la même manière des éléments purement humains : comment survivre et adapter la civilsation à un environnement dont l’hostilité est on ne peut plus hostile. Il en tire ainsi des conséquences politiques, sociales, psychologiques, qui ne peuvent que laisser le lecteur sans voix.

XH

C’est parce que tu es trop conditionné par l’association entre SF et technologie. Alors que la SF est un état d’esprit que tu évoques fort bien dans la suite [... cf paragraphe du dessus …] Le tout ficelé dans une histoire intéressante. Voilà une bonne recette pour un bon bouquin de SF, je dirais. L’important, ce n’est pas la technique, c’est la remise en cause des certitudes et la rationnalité (même basée sur des bases qui peuvent être complètement farfelues scientifiquement, l’important étant que cet a priori soit relativement clair). Bref, la SF cherche à explorer et découvrir le réel, le plus souvent au travers de virtualités savamment élaborées, tandis que la fantasy joue plus sur comment faire revivre les structures narratives ancestrales et leurs émotions associées dans un contexte littéraire modernisé. Cela dit, c’est mon point de vue et je le partage (du moins jusqu’à ceje le relise demain), mais sans doute manqué-je de biscuits (comme disait mon prof de philo de terminale), i.e je n’ai pas mon diplôme de pipologie appliquée, euh pardon, de critique littéraire avancée. Notons au passage que Kingsburry a obtenu l’an dernier une distinction en tant qu’auteur de SF libertaire, ce qui cadre bien avec cet esprit de remise en question.

ND

En fait, il n’y a pas non plus de doute pour moi, mais ça reste un bouquin tellement étrange que le placer en sf me pose de nombreux problèmes d’organisation de mon catalogue mental.

XH

Franchement, je trouve que c’est un des bouquins que je conseillerais pour quelqu’un qui voudrait découvrir la SF autrement que sous la forme de batailles dans l’espace avec des robots. Le seul truc queje regrette, c’est la concession qu’il fait en faisant trop directement référence à l’histoire du XXe siècle, je trouve que cela affaiblit l’effet de dépaysement. Mais en même temps cela sert aussi l’histoire,et la référence est immédiatement compréhensible, voire même ressentie par lecteur, bien plus que le seraient des inventions de l’auteur.