gnocchi_4 's review for:

Immortalite by Milan Kundera
4.0

C'est mon premier livre de Kundera, et probablement pas le dernier.

Comme l'auteur l'avoue lui même, ce livre ressemble plus à un ensemble d'éléments, certes connectés, plutôt qu'à une histoire avec un début et une fin. Cela ne m'a absolument pas gêné. C'était même plutôt rafraichissant et, on dirait, a permis à l'auteur de rassembler des passages sur des sujets différents, dont certains m'ont beaucoup plu. C'est un livre que j'ai beaucoup annoté.

Ceci dit, j'ai eu du mal avec certains points de vue de l'auteur, comme le refus de la modernité et la critique de la jeunesse. J'ai essayé de garder en tête que c'est un livre écrit en 1990. Je pense pouvoir le lui pardonner sans trop de difficulté car il m'a beaucoup fait réfléchir, une qualité qui m'est très précieuse.

Voici quelques extraits (je les mets souvent pour les livres que je lis car je les trouve agréables à lire dans d'autres critiques mais aussi parce que je pense qu'ils permettent de savoir facilement et rapidement si le livre pourrait nous plaire):

Jusqu'à un certain moment, la mort reste quelque chose de trop éloigné pour que nous nous occupions d'elle. Elle est non-vue, elle est non visible. C'est la première phase de la vie, la plus heureuse.

Puis, tout à coup, nous voyons notre propre mort devant nous et il est impossible de l'écarter de notre champ visuel. Elle est avec nous. Et puisque l'immortalité est collée à la mort comme Hardy à Laurel, on peut dire que l'immortalité est avec nous, elle aussi. (...)

Après cette deuxième phase de la vie, où l'homme ne peut quitter la mort des yeux, en vient une troisième, la plus courte et la plus secrète, dont on sait très peu de chose et dont on ne parle pas. Ses forces déclinent et une désarmante fatigue s'empare de l'homme. Fatigue : pont silencieux qui mène de la rive de la vie à la rive de la mort. La mort est si proche qu'on s'ennuie à la regarder. Comme autrefois, elle est non-vue et non-visible


La méthode additive est tout à fait plaisante si l'on ajoute à on moi un chien, une chatte, un rôti de porc, l'amour de l'océan ou des douches froides. Les choses deviennent moins idylliques si l'on décide d'ajouter au moi la passion pour le communisme, pour l'athéisme, pour le fascisme ou pour l'antifascisme. Dans les deux cas, la méthode reste exactement la même : celui qui défend opiniâtrement la supériorité des chats sur les autres animaux fait, par essence, la même chose que celui qui proclame Mussolini unique sauveur de l'Italie : il vante un attribut de son moi et met tout en œuvre pour que cet attribut (une chatte ou Mussolini) soit reconnu et aimé de tout son entourage.
Tel est l'étrange paradoxe dont sont victime tous ceux qui recourent à la méthode additive pour cultiver leur moi : ils s'efforcent d'additionner pour créer un moi inimitablement unique, mais devenant en même temps les propagandistes de ces attributs additionnés, ils font tout pour qu'un maximum de gens leur ressemblent ; et alors l'unicité de leur moi (si laborieusement conquise) s'évanouit aussitôt.


En fait, pourquoi leur mère préférait-elle Laura à Agnès, quand le général ennemi ne lui accordait la grâce que d'un seul des trois condamnés? La réponse était claire : elle préférait Laura parce que Laura était plus jeune. Dans la hiérarchie des âges, le nouveau-né est au sommet, viennent ensuite l'enfant, puis l'adolescent, et alors seulement l'homme adulte. Quand au vieillard, il reste au plus près du sol, tout en bas de cette pyramide des valeurs. Et le mort? Le mort est sous terre. Donc plus bas encore que le vieillard. Un vieillard se voit encore reconnaître tous les droits de l'homme. Le mort, au contraire, les perd à l'instant même de son décès. Aucune loi ne le protège plus de la calomnie, sa vie privée a cessé d'être privée ; les lettres que lui ont écrites ses amours, l'album de souvenirs que lui a légué sa mère, rien de tout cela, rien, plus rien ne lui appartient.