A review by sekhmetsgalaxy
D'autres vies que la mienne by Emmanuel Carrère

4.0

Si vous choisissez d’entamer ce livre, vous aurez entre les mains un ouvrage traitant de manière inattendue, tant des causes prétendument psychosomatiques de nos maladies les plus graves, que de cas techniques relevant du droit de la consommation, de mépris de classe banalisé, ou encore en quoi survivre à un tsunami au Sri Lanka créerait autant de liens entre deux êtres que d’être atteint d’un cancer qui vous ferait perdre l’usage de vos deux jambes.

Enfin, pour faire court, l’auteur aborde la manière dont ses proches peuvent vivre le deuil d’une personne, et comment en leur posant ne serait-ce que quelques questions à ce sujet, l’on découvre bien vite que cet événement fait rejaillir des éléments saillants de leur histoire personnelle, éléments dont ils regorgent mais que le romancier n’aurait pas pris la peine de considérer sinon.

Ainsi, j’ai entamé la lecture de cet ouvrage, intriguée par la citation suivante que j’ai pu lire sur Pinterest il y a trois ans, et gardée en mémoire depuis:

« Je crois qu’il y a des gens dont le noyau est fissuré pratiquement depuis l’origine, qui malgré tous leurs efforts, leur courage, leur bonne volonté, ne peuvent pas vivre vraiment, et qu’une des façons dont la vie, qui veut vivre, se fraie un chemin en eux, cela peut être la maladie, et pas n’importe quelle maladie : le cancer. C’est parce que je crois cela que je suis tellement choqué par les gens qui vous disent qu’on est libre, que le bonheur se décide, que c’est un choix moral. Les professeurs d’allégresse pour qui la tristesse est une faute de goût, la dépression une marque de paresse, la mélancolie un péché. Je suis d’accord, c’est un péché, c’est même le péché mortel, mais il y a des gens qui naissent pécheurs, qui naissent damnés, et que tous leurs efforts, tout leur courage, toute leur bonne volonté n’arracheront pas à leur condition. Entre les gens qui ont un noyau fissuré et les autres, c’est comme entre les pauvres et les riches, c’est comme la lutte de classes, on sait qu’il y a des pauvres qui s’en sortent mais la plupart, non, ne s’en sortent pas, et dire à un mélancolique que le bonheur est une décision, c’est comme dire à un affamé qu’il n’a qu’à manger de la brioche. »

Ainsi, m’étant figurée pendant quelques années qu’il traiterait de la fatalité et de la douleur d’être, je me suis donc fait une idée complètement fausse de ce que serait ce roman. Parce que, comme certains films déçoivent car leur titre ne correspond qu’à une infime partie de leur contenu, le propos du livre était tout autre qu’une dissertation sur la répartition variable de la mélancolie entre les êtres. Étoffant en ce sens ma citation chérie par une trame peu conforme à mes attentes, je ne pouvais qu’être déçue.

N’ayant en conséquence que peut accroché au début et peu résolue à poursuivre ce livre ennuyeux, l’enthousiasme placide de l’auteur a pourtant su m’entraîner à ses côtés, et je me suis peu à peu prise d’intérêt pour ce jargon juridique pointilleux et la narration du parcours du combattant de ces personnages tourmentés par cette tragédie du quotidien que semble être le cancer. Les deux histoires entremêlées ont finalement réveillées mon attention et si c’est un sujet qui ne vous effraye pas, je vous conseille ce roman qui se lit en une après-midi.

Par ailleurs, la quatrième de couverture nous indique que tout y est vrai : ainsi, quel doux plaisir de se poser la question tout au long de la lecture et de ne se le voir confirmer qu’en renfermant l’ouvrage. En résumé donc, cela a commencé avec quelque chose de dur mais néanmoins d’assez générique. Avec le recul cependant, l’histoire prend de la hauteur et l’on se rend compte que tout est lié: à l’image d’un électrocardiogramme, le début et la fin sont le récit stable, et le milieu de l’ouvrage le pic de profondeur.

Bonne lecture !