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letty_and_books 's review for:

Dans les forêts de Sibérie by Sylvain Tesson
4.0

Cette lecture a été pour moi l’une des plus belles de l’année (loin d’être révolue, donc la barre est haute désormais). Je n’attendais pourtant rien en particulier de ce livre et même si j’avais entendu parler de Sylvain Tesson, je n’avais jamais vraiment été tentée de lire ses écrits. Quelle bêtise ! J’ai maintenant envie de découvrir le reste de son œuvre, mais il me faudra une pile d’autres carnets pour consigner toutes les citations inspirantes que j’ai déjà glanées dans Dans Les Forêts de Sibérie.

Ce livre est d’une richesse incroyable : un brin d’aventure (le côté exploration en tant que tel n’est pas extrêmement présent puisqu’il s’agit de dépeindre une expérience érémitique), une bonne dose d’humour, un flot d’introspection grâce aux livres qu’il a emportés et cite constamment, et un torrent de réflexions sous forme d’aphorismes merveilleux – et souvent hilarants, là encore – sur les égarements de notre société à travers un détachement salvateur. (L’auteur avoue, non sans un soupçon d’ironie, qu’il manque de volonté et que vivre tel un ermite l’a aidé dans sa prise de distance, mais il est tout à fait possible de faire de même dans un appartement parisien sans avoir besoin de s’exiler dans une cabane en rondins au fin fond de la taïga !)

On pourrait peut-être s’étonner du paradoxe entre la forme du journal intime, tenu au jour le jour, et l’intemporalité des propos. Certains y trouveront un caractère répétitif, mais j’y vois la beauté d’une réflexion qui prend justement tout son sens dans cette immédiateté de l’universel, dans l’imminence d’un destin dont il faut prendre conscience.

L’auteur narrateur semble parfois se moquer de la nature même de son projet et de sa propre personne, lorsqu’il s’exclame, revenant aux choses simples et révélant une vision du monde presque animiste, "il y a plus de vérité dans les coups de ma hache et le ricanement des geais que dans les péroraisons psychologiques", mais aussi lorsqu’il pointe du doigt, se comparant à Robinson Crusoé, le risque de développer "un léger syndrome mégalomaniaque" et "le syndrome de la tour d’ivoire."

Le seul aspect qui me perturbe (qui n’est pas inhérent au texte, mais au personnage) est que Sylvain Tesson nous répète éprouver ce besoin de se poser, après une vie de baroudeur passée à voyager, à courir après le temps. Pourtant, son livre suivant est un récit de voyage, comme si son expérience érémitique n’avait été qu’une parenthèse et non une profonde remise en question de son quotidien. De plus, sa volonté de tester les limites en permanence, et parfois de manière complètement irréfléchie, a eu raison de lui, ne serait-ce que pour un temps, puisque cela lui a valu un grave accident. Or, à mon humble avis, le récit qu’il nous livre va à l’encontre d’une telle attitude ; l’ascèse aussi bien que l’hédonisme (cf. la vodka) mis en œuvre dans son épreuve solitaire étant des philosophies qui tendent plutôt à la connaissance des limites et à leur évitement au moyen d’un apprentissage ordonné.

Néanmoins, ces considérations plutôt périphériques ne remettent pas en question le plaisir que j’ai éprouvé à lire ce superbe livre.

Bon, trêve de bavardages ; après tant de pâtes au Tabasco et autres blinis carbonisés, je vais me rabattre sur un livre prônant le régime sans gluten ! ^^