A review by mmlemonade
Le deuxième sexe, I by Simone de Beauvoir

5.0

Un essentiel pour toutes et tous. Un ouvrage sans doute lourd mais immanquable.

L'autrice tente de définir ce qu'est la femme en passant en revue plusieurs théories (et en les critiquant bien sûr).

Ses vues sur les relations sexuelles et la grossesse sont particulièrement négatives… 


« Il y a un type absolu qui est le type masculin. La femme a des ovaires, un utérus; voilà des conditions singulières qui l'enferment dans sa subjectivité; on dit volontairement qu'elle pense avec ses glandes [hormones]. L'homme oublie superbement que son anatomie comporte aussi des hormones, des testicules. Il saisit son corps comme une relation […] normale avec le monde qu'il croit appréhender dans son objectivité, tandis qu'il considère la femme comme alourdi par tout ce qui le spécifie. » p. 16-17


(en parlant des rapports sexuels chez les mammifères:) « d'abord violée, la femelle est ensuite aliénée; elle porte le fœtus dans son ventre […] dans les périodes où elle échappe aux servitudes de la maternité, elle peut parfois s'égaler au mâle: la jument est aussi rapide que l'étalon, la chienne de chasses a autant de flair que le chien, … »

« La gestation […] s'accompagne souvent dans les premiers mois [d'effets secondaires] qui manifestent la révolte de l'organisme contre l'espèce qui prend possession de lui. »

(En parlant de la ménopause:) « Alors la femme se trouve délivrée de servitudes de la femelle; elle n'est pas comparable à un eunuque car sa vitalité est intacte; cependant, elle n'est plus la proie de puissances qui la débordent: elle coïncide avec elle-même. On a dit parfois que les femmes âgées constituaient « un troisième sexe »; et en effet elles ne sont pas des mâles mais ne sont plus des femelles; et souvent cette autonomie physiologique se traduit par une santé, un équilibre, une vigueur qu'elles ne possédaient pas auparavant. » 

(Disant que physiologiquement l'homme est plus fort que la femme:) « la "faiblesse" ne se révèle comme telle qu'à la lumière des buts que l'homme se propose, des instruments dont il dispose et des lois qu'il s'impose. S'il ne voulait pas appréhender le monde, l'idée même de prise sur les choses n'aurait pas de sens. […] Là où les mœurs interdisent la violence, l'énergie musculaire ne saurait fonder une domination. »

« … L'agriculture étend son domaine: un travail intensif est exigé pour défricher les forêts, faire fructifier les champs […] C'est là "la grande défaite historique du sexe féminin". Elle s'explique par le bouleversement survenu dans la division du travail par suite de l'invention de nouveaux instruments. »

« On ne saurait obliger directement la femme à enfanter: tout ce qu'on peut faire c'est l'enfermer dans des situations où la maternité est pour elle la seule issue: la loi ou les mœurs lui imposent le mariage, on interdit les mesures anticonceptionnelles et l'avortement, on défend le divorce. Ce sont exactement ces vieilles contraintes du patriarcat que l'U.R.S.S. a aujourd'hui ressuscitées. » 

(En tentant de trouver le rôle de la femme avant l'agriculture:) « il est arrivé que des femmes prennent part à des guerres ou des vendettas sanglantes; elles y déployaient autant de courage et de cruauté que les mâles. […] On raconte que les Amazones mutilaient leurs seins, ce qui signifie que du moins pendant la période de leur vie guerrière elles refusaient la maternité. » 

« La maternité destine la femme à une existence sédentaire; il est naturel, tandis que l'homme chasse, pêche, guerroie, qu'elle demeure au foyer. Mais chez les peuples primitifs on ne cultive guère que des jardins de dimensions modestes et contenu dans les limites du village; leur exploitation est une tâche domestique.[…] économie et mystique sont d'accord pour abandonner aux femmes le travail agricole. […] elles tissent tapis et couvertures, elles façonnent les poteries. […] le commerce est entre leurs mains. […] Tant de puissance inspire aux hommes un respect mêlé de terreur qui se reflète dans leur culte. »

« On a retrouvé à Suse l'image la plus ancienne de la Grande Déesse […] elle est la reine du ciel, […] elle est aussi impératrice des enfers, elle en sort en rampant et le serpent la symbolise. […] Elle s'appelle Ishtar à Babylone, Astarté chez les peuples sémitiques et chez les Grecs Géa, Rhéa ou Cybèle; on la retrouve en Égypte sous les traits d'Isis … […] Mais les grandes époques patriarcales conservent dans leur mythologie, leurs monuments, leurs traditions, le souvenir d'un temps où les femmes occupaient une situation très haute. » 

« C'est que la femme n'était vénérée que dans la mesure ou l'homme se faisait l'esclave de ses propres craintes, le complice de sa propre impuissance: c'est dans la terreur et non dans l'amour qu'il lui rendait un culte. » 
(~ est-ce que c'est vrai chez les innus? ~)

Cette revue du statut de la femme dans l'histoire me fait penser à quel point nous sommes privilégiées aujourd'hui par notre liberté, ce n'était probablement pas l'impression que Beauvoir voulait laisser.

Balzac a dit « "La femme est une propriété que l'on acquiert par contrat; elle est mobilière car la possession vaut titre; enfin la femme n'est à proprement parler qu'une annexe de l'homme." Il se fait ici le porte-parole de la bourgeoisie dont l'anti-féminisme redouble de vigueur […] contre les idées progressistes qui la menacent. […] Balzac exhorte l'époux à la tenir dans une totale sujétion s'il veut éviter le ridicule du déshonneur. Il faut lui refuser l'instruction et la culture. […] "La femme mariée est une esclave qu'il faut mettre sur un trône." dit Balzac; il est convenu qu'en toutes circonstances insignifiantes l'homme doit […] leur céder la première place, […] les décharger de toute tâche pénible et de tout souci: c'est les délivrer du même coup de toute responsabilité. » p.193

« La femme bourgeoise tient à ses chaînes parce qu'elle tient à ses privilèges de classe. » p. 186

« Le droit romain n'accordait pas de protection spéciale à la vie embryonnaire; il ne considérait pas le nasciturus comme un être humain mais comme une partie du corps maternel. […] Dans l'ensemble de la civilisation orientale et gréco-romaine, l'avortement est admis par la loi. C'est le christianisme qui a bouleversé sur ce point les idées morales en douant l'embryon d'une âme; alors l'avortement devint un crime contre le fœtus lui-même. » p. 197

« Le pape a encore déclaré tout récemment qu'entre la vie de la mère et celle de l'enfant, il faut sacrifier la première: en effet la mère étant baptisée peut gagner le ciel – curieusement, l'enfer n'intervient jamais dans ces calculs – tandis que le fœtus est voué aux limbes à perpétuité. » p.199

« [Maria Deraismes] soutient une vive controverse contre Alexandre Dumas fils qui conseillait au mari trahi par une femme infidèle : "Tue-la." » p. 202

« Le privilège économique détenu par les hommes, leur valeur sociale, le prestige du mariage, l'utilité d'un appui masculin, tout engage les femmes à vouloir ardemment plaire aux hommes » p. 234

« Il l'aime en tant qu'elle est sienne, il la redoute en tant qu'elle demeure autre; mais c'est en tant qu'autre redoutable qu'il cherche à la faire plus profondément sienne: c'est là ce qui va l'amener à l'élever à la dignité d'une personne et à la reconnaître pour son semblable. » p. 282

« Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la mère s'agenouille devant son fils; elle reconnaît librement son infériorité. C'est là la suprême victoire masculine qui se consomme dans le culte de Marie […]. Ishtar, Astarté, Cybèle étaient cruelles, capricieuses, luxurieuses; elles étaient puissantes; source de mort autant que de vie, en enfantant les hommes elles faisaient d'eux leurs esclaves. […] Et par cette soumission elle peut prendre dans la mythologie masculine un rôle neuf. » p. 285

Sur Stendhal: « Tous les génies qui naissent femmes sont perdus pour le bonheur du public ; dès que le hasard leur donne les moyens de se montrer, voyez-les atteindre aux talents les plus difficiles. Le pire handicap qu'elles aient à supporter, c'est l'éducation dont on les abrutit; l'oppresseur s'attache
toujours à diminuer ceux qu'il opprime ; c'est à dessein que l'homme refuse aux femmes leurs chances. "Nous laissons oisives chez elles les qualités les plus brillantes et les plus riches en bonheur pour elles-mêmes et pour nous." À dix ans, la fillette est plus vive, plus fine que son frère ; à
vingt
ans le polisson est l'homme
d'esprit et la jeune fille « une grande
idiote gauche, timide et ayant peur
d'une araignée »; la faute en est à la
formation qu'elle a reçue.
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On voue à l'oisiveté un grand nombre d'entre elles alors qu'il n'y a pas de bonheur hors du travail.
Cette condition indigne Stendhal et il y voit
la source de tous les défauts qu'on
reproche aux femmes.



… À une déficience subjective, l'homme qui ne « comprend » pas une femme est
heureux de substituer une résistance
objective : au lieu d'admettre son
ignorance, il reconnaît hors de lui la
présence d'un mystère : voilà un alibi
qui flatte à la fois la paresse et la vanité.