Reviews

On ne va pas se mentir : L'art de la joie commence mal, avec des premiers chapitres difficilement soutenables puisqu'on parle de pédocriminalité et d'inceste. Du coup, je l'ai reposé très rapidement et j'ai mis longtemps avant de le reprendre et de dépasser ce premier dégoût. Et j'ai bien fait, je pense.

L'art de la joie c'est une pavasse qui retrace la vie de Modesta, orpheline après un début de vie catastrophique dans la Sicile des années 1900 à 1950. Et il y aurait autant à dire que le nombre de pages de ce roman, je crois, mais j'ai surtout apprécié les prises de position de la narratrice (et de l'autrice ?) sur beaucoup de sujets. Modesta est une femme qui vit, qui aime qu'importe le genre, qui n'est même pas sûre de son propre genre (mais j'ai l'impression qu'il s'agit plus d'un rejet des stéréotypes de genre plus que du rejet de la binarité), qui dirige, mais qui tient à sa liberté, ses convictions, et qui insuffle un nouveau souffle dans les hiérarchies familiales, sans toutefois oublier la générosité. Dans une vie aussi riche d'évènements, on se perd un peu dans la profusion de noms et dans l'emmêlement des arbres généalogiques, mais il y a une sincérité qui émeut et qui fait tourner une page après l'autre.

J'ai été complètement accrochée par l'histoire et je me surprenais souvent à me dire "encore un chapitre" avant d'en enfiler dix d'un coup sans les voir passer. Pourtant, tout ne m'a pas plu : en-dehors des premiers chapitres que j'évoquais au début de cette critique, il y a quand même beaucoup de violence, encore pas mal de machisme malgré les positions féministes de Modesta, et surtout de l'inceste/des insinuations incestueuses et ça vraiment, pour moi c'est un big no. Mais la critique du fascisme et même celle du communisme malgré les convictions affichées, et le tracé d'un moment de notre histoire resté si sombre dans la mémoire de beaucoup ont fini de me convaincre que le roman était à la hauteur de ses ambitions.

J'ai pu regretter aussi certains changements dans la narration qui rendaient les dialogues superficiels (peut-être un défaut dû à la formation dramaturgique de l'autrice ? Ça sonnait vraiment théâtre et vraiment grands envolées dramatiques inhérentes au genre), même si certains partis-pris dans le style étaient intéressants pour évoquer plutôt que montrer. Il faut souvent lire entre les lignes pour comprendre ce qu'il se passe, et ce manque de clarté m'a parfois déroutée et fait comprendre les rebondissements avec un train de retard.

Il y avait beaucoup de choses à tirer de ce roman : peut-être que je l'ai lu au bon moment, peut-être qu'il y a un an c'était encore trop tôt, et peut-être que je le comprendrai encore mieux si je le lis plus tard. En bref, c'était une sacrée aventure, que je suis contente d'avoir menée jusqu'au bout même si j'ai mis le temps.